Théologie des seins

 



Que tu es belle, mon amie, que tu es belle! Tes yeux sont des colombes, derrière ton voile. Tes cheveux sont comme un troupeau de chèvres, suspendues aux flancs de la montagne de Galaad. Tes dents sont comme un troupeau de brebis tondues, qui remontent de l'abreuvoir; Toutes portent des jumeaux, aucune d'elles n'est stérile. Tes lèvres sont comme un fil cramoisi, et ta bouche est charmante; Ta joue est comme une moitié de grenade, derrière ton voile. Ton cou est comme la tour de David, bâtie pour être un arsenal; Mille boucliers y sont suspendus, tous les boucliers des héros. Tes deux seins sont comme deux faons, comme les jumeaux d'une gazelle, qui paissent au milieu des lis.(Cant.4:1-5)

 La langage érotique du Cantique des cantiques a toujours bouleversé la pensée théologique - des hommes, on peut supposer. Un des grands commentateurs chrétiens, Grégoire le Grand (6eme siècle), pour sa part, explique l'usage biblique des membres feminins avec une mise en garde:

 "Dans ce livre...sont employés les termes d'un amour qui paraît charnel: c'est afin que l'âme, sortant de son engourdissement, se réchauffe sous la friction de propos qui lui soient familiers et, grâce au langage de l'amour d'ici-bas, soit stimulée à l'amour d'en-haut. Dans ce livre en effet, on prononce le nom des baisers, le nom des seins, le nom des joues, le nom des cuisses: ces mots ne doivent pas provoquer la moquerie vis-à-vis du texte sacré, mais faire estimer pour le plus grande encore la miséricorde de Dieu: car, lorsqu'il mentionne les parties du corps et convie ainsi à l'amour, il faut remarquer de quelle façon merveilleuse et miséricordieuse il agit envers nous, lui qui, pour enflammer notre coeur et la provoquer à l'amour sacré, va jusqu'a employer le langage de notre amour grossier...Nous devons, à travers ce langage de la passion, en venir à la vertu d'impassibilité." (Commentaire sur le Cantique, 3-4)

Autrement dit, quand on écoute des mots comme "seins" ou "cuisses", on doit ne penser pas des seins ou cuisses (d'une femme), mais des realités spirituels, vers dont ces mots sont qu'une machine mise en place pour nous élever. Un arrangement dangereuse et embarrassant, à vrai dire! Cependant, Grégoire n'est pas le premier que disait ceci. D'après l'interprétation juive, le chant nuptial de la Cantique décrit la relation entre l'homme et Dieu (ou entre Israël et Yahve). Cette éxègese symbolique declare que  l'amour humain est l'écho de l'amour de Dieu pour l'homme. Aussi l'avertissement de Grégoire n'est guère nouveau: Déjà Origène a voulu de ne laisser lire ces versets que par des personnes indifférentes à la séduction de l'amour charnel.

Malgré tout cela, Grégoire tire un enseignement spirituel des seins feminins, ou de leurs fonctions. Commentant le verset "tes seins sont meilleurs que le vin"(1:1) il remarque: "Les seins sont placés sur la cage thoracique: ils tirent une part de la nourriture qui est à l'interieur et nourrissent ceux qui sont à l'extérieur." Par conséquent, les croyants sont les seins de Seigneur, surtout les predicateurs. Allaitement maternel devient une image d'évangélisation chrétienne.

Jusqu'ici, tout va bien. Mais s'il agissait le sens esthétique des seins - sans parler du sens érotique - Grégoire n'avait rien à dire. Sexualité féminine, de laquelle les seins sont symboles très puissants, a toujours été objet de mépris, peur et honte dans le culture occidental. Heureusement, toute la vérité n'est comme ça. Gilbert de Hoilandie (12eme siècle) nous présente une autre perspective. Même si l'Apôtre  avait averti les femmes de "parure extérieure qui consiste dans les cheveux tressés, les ornements d'or, ou les habits qu'on revêt" (1. Pierre 3:3), Gilbert voit dans ces mêmes parures un exemple pour toutes les chrétiens:

"Je vous rappelle les soins que les femmes mettent à relever avec art le beauté de leur corps. Qu'affectent-elles plus dans l'ornement de leur poitrine que faire dominer leurs mamelles, d'en développer leur volume, et de faire qu'elles garnissent toute la poitrine?...Car les mamelles sont belles quand elles dominent un peu et sont légèrement gonflées: nit trop élevées, ni trop abaissées, au niveau du reste de la chair qui les entoure: retenues et non déprimées, légèrement relevées et non abandonnées à la pesanteur de leur propre masse. Que celui qui a pour charge de faire entendre les paroles spirituelles et salutaires trouve dans cet exemple un encouragement qui l'excite à imiter le soin et l'industrie des femmes." (Sermon XXXI)

Étant un moine avoué, Gilbert a néanmoins réflechi des seins feminins avec une enquête approfondie. Ce n'est pas un reproche, mais plutôt une louange! Une lecture allégorique, bien sûr, comme celle de Grégoire, mais nettement plus positive à propos de la realité corporelle humaine.

Le Cantique des cantiques est à la fois une livre érotique et mystique. Autrefois la langage érotique était le problème, quand nous l'avons vu. Aujourd'hui, il semble que nous avons perdu le sens mystique entièrement - ou, au moins dans un grande mesure. "Mystique" s'appelle ici le cheminement d'une personne humaine vers Dieu, c'est-à-dire la mystique chrétienne (peut-être juive ou islamique, pourquoi pas). Je pense qu'on ne comprend pas la profondeur de cet cantique sans les deux perspectives: d'érotique et de mystique.

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